Association Française des Professeurs de Chinois

Introduction, I, II, III, IV, V, VI, VII, VIII, IX, X, XI, XII, XIII, XIV, XV, XVI, XVII, XVIII, XIX, XX.

Lun yu, les Entretiens de Confucius

<
CHAPITRE XIII
>

XIII.1. Tzeu lou interrogea Confucius sur l’art de gouverner. Le Maître répondit : « Donner l’exemple du labeur. » Tzeu lou pria le Maître de lui en dire davantage. Confucius répondit : « Sans relâche. »

XIII.2. Tchoung koung était grand intendant du chef de la famille Ki. Il interrogea Confucius sur l’art d’administrer. Le Maître dit : « Mets en avant les subalternes ; pardonne les erreurs légères ; mets en charge des hommes sages et habiles. » Tchoung koung dit : « Comment connaîtrai-je les hommes sages et habiles, afin de leur confier les charges ? » Confucius répondit : « Promeus ceux que tu connais. Quant à ceux que tu ne connais pas, est-ce que d’autres ne te les feront pas connaître ? »

XIII.3. Tzeu lou dit : « Si le prince de Wei vous attendait pour régler avec vous les affaires publiques, à quoi donneriez-vous votre premier soin ? – A rendre à chaque chose son vrai nom », répondit le Maître. « Vraiment ? répliqua Tzeu lou. Maître, vous vous égarez loin du but. A quoi bon cette rectification des noms ? » Le Maître répondit : « Que tu es rustre ! Un homme honorable se garde de se prononcer sur ce qu’il ignore.

Si les noms ne sont pas ajustés, le langage n’est pas adéquat. Si le langage n’est pas adéquat, les choses ne peuvent être menées à bien. Si les choses ne peuvent être menées à bien, les bienséances et l’harmonie ne s’épanouissent guère. Les bienséances et l’harmonie ne s’épanouissant guère, les supplices et les autres châtiments ne sont pas justes. Les supplices et les autres châtiments n’étant plus justes, le peuple ne sait plus sur quel pied danser. Tout ce que l’homme honorable conçoit, il peut l’énoncer, et l’énonçant il peut le faire. L’homme honorable ne laisse rien à la légère. »

K’ouai kouei, héritier présomptif de Ling, prince de Wei, honteux de la conduite déréglée et licencieuse de sa mère Nan tzeu, voulut la tuer. N’ayant pas réussi, il s’enfuit. Le prince Ling voulut nommer Ing son héritier. Ing refusa. A la mort du prince Ling, sa femme Nan tzeu nomma Ing héritier de la principauté. Ing refusa de nouveau. Elle donna la principauté à Tche, fils de K’ouai kouei, afin d’opposer le fils au père. Ainsi, K’ouai kouei, en voulant tuer sa mère, avait encouru la disgrâce de son père ; et Tche, en prenant l’autorité princière, faisait opposition à son père K’ouai kouei. Tous deux étaient comme des hommes qui n’auraient pas eu de père. Evidemment, ils étaient indignes de régner. Si Confucius avait été chargé du gouvernement, il aurait commencé par corriger les appellations (celui-là seul aurait porté le nom de père ou de fils qui en aurait rempli les devoirs). Il aurait fait connaître au chef de l’empire l’origine et tous les détails de cette affaire ; il l’aurait prié d’ordonner à tous les seigneurs de la contrée de reconnaître Ing pour héritier de la principauté. Dès lors, la loi des relations entre les hommes aurait été juste. Les principes célestes auraient été observés, les appellations correctes, le langage adéquat, et les affaires menées à bien.

XIII.4. Fan Tch’eu pria Confucius de lui enseigner l’agriculture. Le Maître répondit : « Un vieux laboureur te l’enseignerait mieux que moi. » Fan Tch’eu le pria de lui enseigner l’art de cultiver les jardins potagers. Confucius répondit : « Un vieux jardinier te l’enseignerait mieux que moi. » Comme Fan Tch’eu se retirait, le Maître lui dit : « Que Fan Siu a l’esprit petit ! Si le prince s’attache à l’urbanité et aux convenances, aucun de ses sujets n’osera les négliger. Si le prince s’attache à la justice, aucun de ses sujets n’osera lui refuser l’obéissance. Si le prince s’attache à la sincérité, aucun de ses sujets n’osera agir de mauvaise foi. Les choses étant ainsi, les habitants de toutes les contrées accourront à lui, avec leurs petits enfants sur leurs épaules. Quel besoin a-t-il d’apprendre l’agriculture ? »

XIII.5. Le Maître dit : « Supposons qu’un homme ait appris les trois cents odes [du Livre des Odes] ; qu’ensuite, s’il est chargé d’une partie de l’administration, il manque d’habileté ; s’il est envoyé en mission, il soit incapable de répondre par lui-même ; que lui sert toute sa littérature ? »

XIII.6. Le Maître dit : « Si le prince personnifie la rectitude, tout se fait sans qu’il commande ; si le prince ne l’incarne pas, il aura beau donner des ordres, il ne sera pas suivi. »

XIII.7. Le Maître dit : « Les deux principautés de Lou et de Wei sont sœurs par leur administration [comme par leur origine]. »

La principauté de Lou était gouvernée par les descendants de Tcheou koung, et celle de Wei par les descendants de K’ang chou. Les deux dynasties descendaient donc de deux frères. Au temps de Confucius, elles étaient en décadence, et les deux pays étaient également troublés.

XIII.8. Le Maître disait que Koung Tzeu king [grand préfet de la principauté] de Wei, était toujours content de l’état de sa maison ; que, quand il commença à posséder quelque chose, il disait : « J’ai amassé un peu », que, quand il eut des ressources suffisantes, Il disait : « Je suis presque au comble de l’opulence », que, quand il fut devenu riche, il disait : « Je suis presque dans la splendeur. »

XIII.9. Le Maître alla dans la principauté de Wei avec Jen Iou, qui conduisait son char. Le Maître dit : « Que les habitants sont nombreux ! – Maintenant qu’ils sont nombreux, dit Jen Iou, que faut-il faire pour eux ? » Le Maître répondit : « Les rendre riches. » Jen Iou reprit : « Quand ils seront devenus riches, que faudra-t-il faire de plus pour eux ? – Les instruire », répondit Confucius.

XIII.10. Le Maître dit : « Si un prince m’employait, au bout d’un an, les choses prendraient tournure ; au bout de trois ans, elles seraient parfaites. » ,

XIII.11. Le Maître dit : « Si des princes vertueux se succédaient sur le trône durant cent ans, a dit un poète, ils vaincraient les scélérats, et élimineraient la peine de mort. Que ces paroles sont véritables ! »

XIII.12. Le Maître dit : « Même s’il se présentait un roi digne de ce nom, il faudrait attendre une génération pour voir fleurir la vertu d’humanité. »

XIII.13. Le Maître dit : « Si un homme sait se gouverner lui-même, quelle difficulté aura-t-il à gouverner l’État ? Mais celui qui ne sait pas se gouverner lui-même, comment pourra-t-il gouverner les autres ? »

XIII.14. Jen Iou revenant du palais, le Maître lui dit : « Pourquoi reviens-tu si tard ? » Jen Iou répondit : « Les affaires publiques m’ont retenu. » Le Maître répliqua : « Tu as été retenu par les affaires particulières de ce Ki suenn¹. S’il y avait eu des affaires publiques, quoique je ne sois plus en charge, j’aurais été appelé à la délibération. »

1. Qui, simple grand préfet, gouverne en maître la principauté de Lou.

XIII.15. Ting, prince de Lou, demanda à Confucius s’il existait un adage qui puisse faire prospérer un pays. Confucius répondit : « Un adage ne peut avoir une telle portée. Il est un dicton : “Il est malaisé d’être souverain, il n’est pas facile d’être ministre.” Si le prince comprenait bien la difficulté de régner, ne serait-il pas sur le point de faire prospérer le pays par ce seul adage ? »

Le prince Ting dit : « Existe-t-il un adage susceptible d’entraîner la ruine du pays ? » Confucius répondit : « Un adage ne peut avoir une telle portée. Il est un dicton : “Je ne trouve pas d’agrément dans l’exercice du pouvoir ; si ce n’est que, quand je parle, personne ne me contredit.” Si le prince parle bien, et que personne ne le contredise, ne sera-ce pas bien ? Mais s’il parle mal, et que personne ne le contredise, n’est-il pas sur le point, par ce seul adage, de mener le pays à sa perte ? »

XIII.16. Le prince de Che interrogea Confucius sur l’art de gouverner. Le Maître répondit : « Si les proches sont contents, ceux qui sont loin viennent d’eux-mêmes. »

XIII.17. Tzeu hia, étant préfet de Kiu fou, interrogea Confucius sur l’art de gouverner. Le Maître dit : « Ne te hâte pas trop ; ne recherche pas les petits avantages. Qui se hâte n’atteint pas loin ; qui poursuit de petits avantages néglige les grandes choses. »

XIII.18. Le prince de Che dit à Confucius : « Dans mon pays il y a un exemple de droiture : le père ayant volé une brebis, son fils rendit témoignage contre lui. » Confucius répondit : « Dans mon pays, les hommes droits agissent autrement. Le père protège son fils, et le fils son père. Telle est la droiture dans mon pays. »

XIII.19. Fan Tch’eu interrogea Confucius sur le sens d’humanité. Le Maître répondit : « À la maison, demeure courtois ; dans le maniement des affaires, sois diligent ; dans les relations avec autrui, sois loyal. Fusses-tu au milieu des barbares de l’Est et du Nord, tu ne saurais y déroger. »

XIII.20. Tzeu koung demanda ce qu’il fallait faire pour mériter d’être appelé gentilhomme. Le Maître répondit : « Celui-là mérite d’être appelé gentilhomme qui dans sa conduite privée a le sens de l’honneur et, dans les missions qui lui sont confiées en pays étrangers, ne déshonore pas le prince qui l’a envoyé. »

Tzeu koung dit : « Permettez-moi de vous demander quel est celui qui vient immédiatement après le gentilhomme. – C’est, répondit Confucius, celui dont la piété filiale est attestée par tous les membres de la famille, et dont le respect pour les aînés est loué par tous les habitants du bourg et tous les voisins. » Tzeu koung dit : « Permettez-moi de vous demander quel est celui qui vient au troisième rang. » Confucius répondit : « Un homme fidèle à sa parole, et qui mène à bien ses actions. Même s’il fait montre de l’opiniâtreté propre aux gens de peu, il peut, cependant, être placé au troisième rang. »

Tzeu koung dit : « Que faut-il penser de ceux qui administrent à présent les affaires publiques ? » Le Maître répondit : « Hélas ! Du menu fretin qui ne mérite même pas d’être compté ! »

XIII.21. Le Maître dit : « Comme je ne trouve pas de disciples capables de se tenir constamment dans le milieu juste, je cherche des hommes qui sont impétueux, ou des hommes qui ont l’amour du devoir. Les premiers sont entreprenants. Les seconds s’abstiennent de [mal] faire. »

XIII.22. Le Maître dit : « Les habitants du Midi disent qu’un homme inconstant ne peut pas même devenir habile chaman ou bon médecin. Cet adage est très vrai. [On lit dans le Livre des Mutations] : “Celui qui ne persévère pas durablement dans la Vertu subira la honte.” » Le Maître dit : « On ne réfléchit pas sur ces paroles, et de là vient tout le mal. »

XIII.23. Le Maître dit : « L’homme honorable cultive l’harmonie et non le conformisme. L’homme de peu cultive le conformisme et non l’harmonie. »

XIII.24. Tzeu koung demanda ce qu’il fallait penser d’un homme qui est aimé de tous les habitants de son pays. Le Maître répondit : « Cela ne prouve rien encore. » Tzeu koung reprit : « Que faut-il penser d’un homme en butte à la haine de tous les habitants de son pays ? » Le Maître répondit : « Cela ne prouve rien encore. Il vaudrait mieux qu’il soit aimé dans son pays de tous les hommes bons, et haï de tous les hommes mauvais. »

XIII.25, Le Maître dit : « Il est aisé de servir l’homme honorable, mais difficile de lui plaire. Si l’on cherche à gagner ses bonnes grâces par une voie peu louable, on n’y réussira pas. Pour ce qui est du service qu’il demande, il considère les aptitudes. Il est difficile de servir l’homme de peu, et facile de lui plaire. Si l’on cherche à lui plaire même par des voies peu louables, on lui plaira. Mais, dans ceux qui sont à son service, il exige la perfection. »

XIII.26. Le Maître dit : « L’homme honorable en impose, sans orgueil. L’homme de peu est orgueilleux, mais n’en impose pas. »

XIII.27. Le Maître dit : « Fermeté, résolution, simplicité, réserve, touchent à la vertu d’humanité. »

XIII.28. Tzeu lou pria Confucius de lui dire ce que doit être un gentilhomme. Le Maître répondit : « Celui qui est exigeant, affable et prévenant mérite le nom de gentilhomme. Il est exigeant et affable envers ses amis ; il est prévenant envers ses frères. »

XIII.29. Le Maître dit : « Si un homme honorable instruisait le peuple pendant sept ans, on pourrait ensuite en tirer des soldats pour la guerre. »

XIII.30. Confucius dit : « Conduire le peuple à la guerre, avant de l’avoir instruit, c’est le mener à sa perte. »

La suite...


 

 

Introduction, I, II, III, IV, V, VI, VII, VIII, IX, X, XI, XII, XIII, XIV, XV, XVI, XVII, XVIII, XIX, XX.

Lun Yu, les Entretiens de Confucius, traduction de Séraphin Couvreur.
index | contact | haut de page